Laurence Fontaine
Entretien avec Josyane Savigneau et Philippe Garnier
Podium rez de chaussée dimanche 23 avril de 17 à 18h
Dans l’Europe d’Ancien RĂ©gime la pauvretĂ© est endĂ©mique. Elle est un risque conjoncturel auquel on tente de rĂ©pondre : utilisation des terres communes, pluriactivitĂ© de toute la famille mise au travail, engagements de biens au mont-de-piĂ©tĂ© ou migration saisonniĂšre ; câest un Ă©tat structurel auquel on espĂšre Ă©chapper par les dĂ©mĂ©nagements constants, la contrebande et le vagabondage, l’illĂ©galitĂ© et la mendicitĂ© ; câest aussi une exclusion : abandon des enfants, prostitutionâŠ
La massivitĂ© du phĂ©nomĂšne induit des rĂ©ponses allant de la peur devant ces misĂ©reux, qu’il convient d’enfermer pour leur redressement moral, Ă la dĂ©nonciation des insupportables inĂ©galitĂ©s sociales et Ă©conomiques qui retranchent de l’humanitĂ©, de la communautĂ© des individus qui ne demandent que leurs droits.
En 1777 l’AcadĂ©mie des sciences, arts et belles-lettres de ChĂąlons-sur-Marne met au concours la question des « moyens de dĂ©truire la mendicitĂ© en rendant les mendiants utiles Ă l’Ătat sans les rendre malheureux ». 125 mĂ©moires sont alors reçus dressant un Ă©tat des dĂ©bats sur la pauvretĂ©, un Ă©tat des questions dĂ©battues au SiĂšcle des LumiĂšres.
Elles esquissent les questions d’aujourd’hui : comment parler des pauvres ? De la famille, du patriarcat ? De la charitĂ©, avec sa variante du moment, la philanthropie ; de la place de l’impĂŽt aussi ? De l’accĂšs au marchĂ© des plus dĂ©munis ? De l’appartenance des pauvres Ă la sociĂ©tĂ© ? De leur capacitĂ© Ă prendre ou reprendre leur destin en main ?
Rarement un siĂšcle passĂ© en sa lecture apporte autant d’Ă©clairages sur nos dĂ©fis les plus contemporains.
Biographie
AprĂšs des Ă©tudes dâHistoire et Sociologie Ă lâUniversitĂ© de Paris Sorbonne puis Paris V, elle soutient une thĂšse en Histoire Ă Lyon sur les colporteurs de lâOisans au XIX°. Elle est ensuite recrutĂ©e comme chargĂ©e de recherche au CNRS puis Ă lâEHESS. Elle a aussi travaillĂ© en Italie comme professeur au dĂ©partement Histoire de lâInstitut Universitaire EuropĂ©en de Florence de 1995 Ă 2003.
Son travail sur les colporteurs et les migrations de montagne montre la nature et la puissance des rĂ©seaux oĂč le travail est contrĂŽlĂ©, distribuĂ© par quelques familles puissantes.
Laurence Fontaine a analysĂ© les relations au sein de ces groupes et particuliĂšrement les stratĂ©gies dâentraide mises en place pour contrer la prĂ©caritĂ©, la pauvretĂ©. Ses travaux rendent compte de la complexitĂ© de la dette qui est certes un Ă©lĂ©ment de pouvoir mais aussi un outil dâentraide : tout le monde est Ă la fois crĂ©ancier et dĂ©biteur. Elle montre lâimportance des objets dâoccasion, de seconde ou Ă©niĂšme main. Place de lâĂ©conomie informelle dans les stratĂ©gies de survie.
Bibliographie sommaire :
- Le Voyage et la mĂ©moire, colporteurs de l’Oisans au XIXe siĂšcle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1984.
- Pouvoir, identités et migrations dans les hautes vallées des Alpes occidentales (XVIIe-XVIIIe siÚcles), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2003.
- L’Ăconomie morale. PauvretĂ©, crĂ©dit et confiance dans lâEurope prĂ©industrielle, Paris, Gallimard, 2008, 437 p., Grand prix des Rendez-vous de l’histoire, 2009,
- Le MarchĂ©, Histoire et usages dâune conquĂȘte sociale, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2014, 464 p., compte rendu par Guillaume Garner dans Lectures et par Daniel Fayard dans Projet.