Laurence Fontaine

Entretien avec Josyane Savigneau
Podium rez de chaussée samedi 22 avril de 16 à 17h

Dans l’Europe d’Ancien Régime la pauvreté est endémique. Elle est un risque conjoncturel auquel on tente de répondre : utilisation des terres communes, pluriactivité de toute la famille mise au travail, engagements de biens au mont-de-piété ou migration saisonnière ; c’est un état structurel auquel on espère échapper par les déménagements constants, la contrebande et le vagabondage, l’illégalité et la mendicité ; c’est aussi une exclusion : abandon des enfants, prostitution…
La massivité du phénomène induit des réponses allant de la peur devant ces miséreux, qu’il convient d’enfermer pour leur redressement moral, à la dénonciation des insupportables inégalités sociales et économiques qui retranchent de l’humanité, de la communauté des individus qui ne demandent que leurs droits.
En 1777 l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Châlons-sur-Marne met au concours la question des « moyens de détruire la mendicité en rendant les mendiants utiles à l’État sans les rendre malheureux ». 125 mémoires sont alors reçus dressant un état des débats sur la pauvreté, un état des questions débattues au Siècle des Lumières.
Elles esquissent les questions d’aujourd’hui : comment parler des pauvres ? De la famille, du patriarcat ? De la charité, avec sa variante du moment, la philanthropie ; de la place de l’impôt aussi ? De l’accès au marché des plus démunis ? De l’appartenance des pauvres à la société ? De leur capacité à prendre ou reprendre leur destin en main ?
Rarement un siècle passé en sa lecture apporte autant d’éclairages sur nos défis les plus contemporains.
Biographie
Après des études d’Histoire et Sociologie à l’Université de Paris Sorbonne puis Paris V, elle soutient une thèse en Histoire à Lyon sur les colporteurs de l’Oisans au XIX°. Elle est ensuite recrutée comme chargée de recherche au CNRS puis à l’EHESS. Elle a aussi travaillé en Italie comme professeur au département Histoire de l’Institut Universitaire Européen de Florence de 1995 à 2003.
Son travail sur les colporteurs et les migrations de montagne montre la nature et la puissance des réseaux où le travail est contrôlé, distribué par quelques familles puissantes.
Laurence Fontaine a analysé les relations au sein de ces groupes et particulièrement les stratégies d’entraide mises en place pour contrer la précarité, la pauvreté. Ses travaux rendent compte de la complexité de la dette qui est certes un élément de pouvoir mais aussi un outil d’entraide : tout le monde est à la fois créancier et débiteur. Elle montre l’importance des objets d’occasion, de seconde ou énième main. Place de l’économie informelle dans les stratégies de survie.
Bibliographie sommaire :
- Le Voyage et la mémoire, colporteurs de l’Oisans au XIXe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1984.
- Pouvoir, identités et migrations dans les hautes vallées des Alpes occidentales (XVIIe-XVIIIe siècles), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2003.
- L’Économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle, Paris, Gallimard, 2008, 437 p., Grand prix des Rendez-vous de l’histoire, 2009,
- Le Marché, Histoire et usages d’une conquête sociale, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2014, 464 p., compte rendu par Guillaume Garner dans Lectures et par Daniel Fayard dans Projet.

“What is the point of being alive if you don’t at least
try to do something remarkable?”
JANET MORRIS